« Le Chant du calame »…
Le calame chinois trempé dans l’encre bistre, la pensée imaginative accompagne la main fiévreuse de l’artiste.
Sur le papier vierge, il trace les traits de ses pulsions créatrices. Son âme attentive transmet à sa main crispée le prolongement de son inventivité. Le morceau de bambou devenant sec, il le réhydrate rapidement, le trempant dans le liquide mordoré pour ajouter un plus à son œuvre en cours. Son travail en élaboration se modèle, se façonne, se forme progressivement. Au milieu des champs de blés fraîchement coupés et mis en bottes, attendant les ouvriers moissonneurs, il dessine. Son observation sous-jacente est transportée par le génie de son âme. Petit à petit, à grands coups de biffures, de griffures de traits dignes d’un graveur sur cuivre, l’artiste emporté dans sa folle pulsion ne contrôle plus ses gestes. Il porte au papier blanc des traces qu’il espère, seront indélébiles. Par son bâton taillé, le feuillet se couvre de petites et grandes rayures colorées
Sous les gestes passionnés du créateur d’images, son siège de toile vacille sur ses bases ; son pauvre siège acheté à bas prix au commerçant du village voisin et qui le suit dans toutes ses pérégrinations artistiques champêtres. Le soleil implacable et survolté, surchauffe l’atmosphère ainsi que la chevelure rousse et hirsute de l’homme. Les gouttes de sueurs perlent de son front brûlant, de derrière la nuque et lui coulent sur le corps. Il dessine encore et encore. Il remet son chapeau couleur paille. Et là-bas, tout là-bas au loin, il voit le chariot qui attend d’être chargé des bottes de pailles égrainées de blé. Il observe les gestes des ouvriers agricoles s’affairant tout autour, aidés de leurs fortes et gutturales onomatopées de paysans, hissant la récolte lourde de la moisson à grands coups de fourches. Avec eux les chevaux placides, de bonnes grosses et grasses bêtes de traits aux fesses bien rebondies, rouges et charnues, attendent patiemment. Ils piétinaient sur place ayant l’air de se parler entre eux avec l’air de dire : « Et alors, ce n’est pas bientôt terminé tout ça ? C’est qu’on se langui de la fraîcheur de notre écurie, nous autres !» C’étaient de bons gros animaux dociles de labours. Et l’artiste les dessine rapidement, vite, très vite, saisissant leurs formes et leurs attitudes. De son œil attentif et exercé, il les couche sur le papier et enregistre mentalement leurs mouvements de mécanique lente et mesurée. C’est là son œuvre qui retient toute son attention de frénésie artistique.
Les labours seront à venir ensuite juste après le ramassage des blés. Déjà il y pense. Il bâtit sa future œuvre qu’il se fera joie et foi d’inscrire sur d’autres feuillets. Il sait qu’après la récolte, viendra en ses mains une autre œuvre à créer. Une autre image se profile déjà en son esprit. Il la voit déjà. Après les blés ramassés, l’éventrement de la terre comme pour une césarienne et la préparation d’un nouvel assolement puis le réensemencement de la graine du futur. L’éternel renouveau depuis le début des temps. Une gouttelette tombe sur son dessin. C'est le fruit de sa culture à lui. Ses traits rageurs et passionnés se diluent de sa sueur et forment alors une teinte aquarellée bien vite séchée. Il travaille à la manière des maîtres orientalistes japonais dont il a accumulé les estampes colorées dedans sa chambre de village, images qu’il aime tant. Comme il se disait : « La meilleure de mes œuvres sera la prochaine ».
Pendant qu’il imaginait, tout en avançant dans leur ouvrage les ouvriers se rapprochaient, de la calme lenteur des paysans du terroir. Ils avaient la tranquille assurance de l’ouvrage bien fait. Et toujours le soleil qui dardait si fortement sa chevelure léonine ébouriffée. Sa barbe lui mange et lui démange le visage. Il ajoute ici et là, un trait plus marqué, afin de souligner, d’y ajouter sa volonté rustre de laisser sa trace pour une bien courte éternité. Dans le profond de son cœur, il ressentait en lui le désir de faire très vite, un ouvrage important qui serait le bilan de sa vie. Une petite voix intérieure lui soufflait que sa personnalité s’affirmant, il devait laisser à l’humanité un message que des décennies ou des siècles plus tard, les hommes s’en feraient références. Mais il savait que rien ne durait sur terre. Tout se ressemait, se recyclait, se recréait, se transformait par une impermanence immuable des choses et des éléments. Un renouvellement sans fin dans l’univers. Mais il se dépêchait tout de même, tentant de laisser par son aventure d’artiste, une trace de son court passage terrestre. Il remet son chapeau, l’enfonçant d’un coup de poing rageur sur sa caboche surchauffée d’artisan de l’image. Sa vision est troublée par les suées. Il a mal de tête.
Il regarde son œuvre la tenant à bout de bras, l’observe puis la scrute et la critique sans tolérance aucune. Mu par une force intérieure qui le pousse à bâtir son véritable travail, le seul qu’il sache faire, il retouche et rajoute un trait ici et un autre là. Et il retrempe son calame taillé à « sa main », dans le flacon d’eau colorée, la charmeuse de papier. Les paysans s’approchent. Ils l’entourent sachant très bien que l’homme timide qu’il était, serait troublé de leur présence. Et de rire et de plaisanter, se découvrant si petitement dessinés au loin dans le paysage de papier.
« Ca va bien mon gars ? C’est-y que t’es pas un peu fou de dessiner ainsi à c’t’heure sous ce soleil ? Tiens bois donc un bon coup, ca te requinqueras » disait le plus moustachu d’eux quatre en lui tendant un flacon d’eau paraissant fraîche.
Il lui offrait le partage des petits, des humbles de la terre, de ceux qui savent accueillir parmi eux l’étranger. Il était cet étranger qui s’intégrait naturellement aux gens simples, leur causant de leur vie et de leur travail. Il n’était pas comme ceux de la ville qui les regardaient eux, d’un air conquérant, hautain et condescendant, du regard de ceux qui toisent les petits d’un œil supérieur...
« Tiens donc mon gars. Ca vous requinque un bonhomme, ça. Hein ? Qu’est ce que t’en dis ? »
Et d’enlever avec ses dents le bouchon de la bouteille et de lui tendre tout heureux de voir cet énergumène rouquin vivre la vraie vie d’homme de la terre.
« C’est-y bien beau ce que tu nous fais là, mon gars. C’est bien joli tout ça ».
Et le dessinateur, heureux d’avoir rencontré des complices aimables de son œuvre, s’offre à la régalade une généreuse rasade de leur eau, de cette eau qu’ils lui offraient en amitié fraternelle de simples ruraux. Il s’épanche avec largesse.
Et eux d’admirer son dessin un peu interrompu par leur venue surprise.
« Là, tu as vu gamin ? C’est not’carriole qu’il nous a fait là le monsieur. C’est bien beau mon gars…Et nos chevaux, là !» disait le bonhomme au plus jeune d’entre eux.
Et l’artiste, heureux que quelques uns reconnaissent son ouvrage encourageant son talent d’homme forcené un peu fêlé dans sa tête, leur tend son œuvre à peine terminée encore transpirante de la sueur de ses mains calleuses.
« Tenez, c’est pour vous » leur dit-il avec cœur et générosité.
« Mais mon gars, c’est bien gentil, ça. Mais tu n’as pas signé ton gribouillis » répondit-il un peu taquin.
Heureux alors, il reprend le feuillet et retrempant son calame asséché dans la divine couleur, il appose sa griffe nerveuse décidée et joyeux il grave plus qu’il n’appose …
Vincent… 1888
« Vincent… C’est bien beau mon gars mais c’est-y quoi qu’ton nom ? »
« Moi ? répondit le rouquin transpirant… « Van GOGH. Vincent Van Gogh… »
Sous les gestes passionnés du créateur d’images, son siège de toile vacille sur ses bases ; son pauvre siège acheté à bas prix au commerçant du village voisin et qui le suit dans toutes ses pérégrinations artistiques champêtres. Le soleil implacable et survolté, surchauffe l’atmosphère ainsi que la chevelure rousse et hirsute de l’homme. Les gouttes de sueurs perlent de son front brûlant, de derrière la nuque et lui coulent sur le corps. Il dessine encore et encore. Il remet son chapeau couleur paille. Et là-bas, tout là-bas au loin, il voit le chariot qui attend d’être chargé des bottes de pailles égrainées de blé. Il observe les gestes des ouvriers agricoles s’affairant tout autour, aidés de leurs fortes et gutturales onomatopées de paysans, hissant la récolte lourde de la moisson à grands coups de fourches. Avec eux les chevaux placides, de bonnes grosses et grasses bêtes de traits aux fesses bien rebondies, rouges et charnues, attendent patiemment. Ils piétinaient sur place ayant l’air de se parler entre eux avec l’air de dire : « Et alors, ce n’est pas bientôt terminé tout ça ? C’est qu’on se langui de la fraîcheur de notre écurie, nous autres !» C’étaient de bons gros animaux dociles de labours. Et l’artiste les dessine rapidement, vite, très vite, saisissant leurs formes et leurs attitudes. De son œil attentif et exercé, il les couche sur le papier et enregistre mentalement leurs mouvements de mécanique lente et mesurée. C’est là son œuvre qui retient toute son attention de frénésie artistique.
Les labours seront à venir ensuite juste après le ramassage des blés. Déjà il y pense. Il bâtit sa future œuvre qu’il se fera joie et foi d’inscrire sur d’autres feuillets. Il sait qu’après la récolte, viendra en ses mains une autre œuvre à créer. Une autre image se profile déjà en son esprit. Il la voit déjà. Après les blés ramassés, l’éventrement de la terre comme pour une césarienne et la préparation d’un nouvel assolement puis le réensemencement de la graine du futur. L’éternel renouveau depuis le début des temps. Une gouttelette tombe sur son dessin. C'est le fruit de sa culture à lui. Ses traits rageurs et passionnés se diluent de sa sueur et forment alors une teinte aquarellée bien vite séchée. Il travaille à la manière des maîtres orientalistes japonais dont il a accumulé les estampes colorées dedans sa chambre de village, images qu’il aime tant. Comme il se disait : « La meilleure de mes œuvres sera la prochaine ».
Pendant qu’il imaginait, tout en avançant dans leur ouvrage les ouvriers se rapprochaient, de la calme lenteur des paysans du terroir. Ils avaient la tranquille assurance de l’ouvrage bien fait. Et toujours le soleil qui dardait si fortement sa chevelure léonine ébouriffée. Sa barbe lui mange et lui démange le visage. Il ajoute ici et là, un trait plus marqué, afin de souligner, d’y ajouter sa volonté rustre de laisser sa trace pour une bien courte éternité. Dans le profond de son cœur, il ressentait en lui le désir de faire très vite, un ouvrage important qui serait le bilan de sa vie. Une petite voix intérieure lui soufflait que sa personnalité s’affirmant, il devait laisser à l’humanité un message que des décennies ou des siècles plus tard, les hommes s’en feraient références. Mais il savait que rien ne durait sur terre. Tout se ressemait, se recyclait, se recréait, se transformait par une impermanence immuable des choses et des éléments. Un renouvellement sans fin dans l’univers. Mais il se dépêchait tout de même, tentant de laisser par son aventure d’artiste, une trace de son court passage terrestre. Il remet son chapeau, l’enfonçant d’un coup de poing rageur sur sa caboche surchauffée d’artisan de l’image. Sa vision est troublée par les suées. Il a mal de tête.
Il regarde son œuvre la tenant à bout de bras, l’observe puis la scrute et la critique sans tolérance aucune. Mu par une force intérieure qui le pousse à bâtir son véritable travail, le seul qu’il sache faire, il retouche et rajoute un trait ici et un autre là. Et il retrempe son calame taillé à « sa main », dans le flacon d’eau colorée, la charmeuse de papier. Les paysans s’approchent. Ils l’entourent sachant très bien que l’homme timide qu’il était, serait troublé de leur présence. Et de rire et de plaisanter, se découvrant si petitement dessinés au loin dans le paysage de papier.
« Ca va bien mon gars ? C’est-y que t’es pas un peu fou de dessiner ainsi à c’t’heure sous ce soleil ? Tiens bois donc un bon coup, ca te requinqueras » disait le plus moustachu d’eux quatre en lui tendant un flacon d’eau paraissant fraîche.
Il lui offrait le partage des petits, des humbles de la terre, de ceux qui savent accueillir parmi eux l’étranger. Il était cet étranger qui s’intégrait naturellement aux gens simples, leur causant de leur vie et de leur travail. Il n’était pas comme ceux de la ville qui les regardaient eux, d’un air conquérant, hautain et condescendant, du regard de ceux qui toisent les petits d’un œil supérieur...
« Tiens donc mon gars. Ca vous requinque un bonhomme, ça. Hein ? Qu’est ce que t’en dis ? »
Et d’enlever avec ses dents le bouchon de la bouteille et de lui tendre tout heureux de voir cet énergumène rouquin vivre la vraie vie d’homme de la terre.
« C’est-y bien beau ce que tu nous fais là, mon gars. C’est bien joli tout ça ».
Et le dessinateur, heureux d’avoir rencontré des complices aimables de son œuvre, s’offre à la régalade une généreuse rasade de leur eau, de cette eau qu’ils lui offraient en amitié fraternelle de simples ruraux. Il s’épanche avec largesse.
Et eux d’admirer son dessin un peu interrompu par leur venue surprise.
« Là, tu as vu gamin ? C’est not’carriole qu’il nous a fait là le monsieur. C’est bien beau mon gars…Et nos chevaux, là !» disait le bonhomme au plus jeune d’entre eux.
Et l’artiste, heureux que quelques uns reconnaissent son ouvrage encourageant son talent d’homme forcené un peu fêlé dans sa tête, leur tend son œuvre à peine terminée encore transpirante de la sueur de ses mains calleuses.
« Tenez, c’est pour vous » leur dit-il avec cœur et générosité.
« Mais mon gars, c’est bien gentil, ça. Mais tu n’as pas signé ton gribouillis » répondit-il un peu taquin.
Heureux alors, il reprend le feuillet et retrempant son calame asséché dans la divine couleur, il appose sa griffe nerveuse décidée et joyeux il grave plus qu’il n’appose …
Vincent… 1888
« Vincent… C’est bien beau mon gars mais c’est-y quoi qu’ton nom ? »
« Moi ? répondit le rouquin transpirant… « Van GOGH. Vincent Van Gogh… »
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