Toi tu es perdu dans tes pensées
qui te frôlent, te saisissent, t’envahissent puis t’abandonnent comme si elles
n’avaient jamais existées… Elles sont comme des oiseaux de mer qui cherchent et
trouvent enfin leurs proies. Et pourtant ! Et pourtant tes rêves de petit
garçon sont mêlés aux souvenirs qui t’échappent… Pauvre petit, que je t’aime…
Et puis tu les regardes passer ces
mouettes qui se bataillent au dessus des vagues, des mouvements de l’eau qui
m’emporte au loin encore plus loin, bien plus au sud de toi.
Tu te souviens de moi ? Tu
te rappelles les ricochets sur le bord de la rivière, sur la Baïse , à Nérac ? Tu te
rappelles nos ballades sur les chemins de ton village, main dans la main, comme
deux frères, deux amis, deux êtres qui s’aiment ??? Tu t’en souviens petit
homme ? C’était bon, c’était l’insouciance, c’était le bonheur quoi !
Moi, je te regarde là, errant dans tes pensées de grand jeune homme maintenant.
Tu mûris, tu t’affirmes, tu deviens l’homme que j’aurais aimé aider à se façonner
a l’image de l’idéal que j’imaginais pour mes enfants… Tu sais ? Je veux
parler de ta mère et de ton parrain, mon autre enfant…
Aujourd’hui tu t’en rappelles par
bribes, par détails, par odeurs, par fugitives sensations passées dans le
tiroir de tes souvenances… Cela te rejoint petit homme. Tu es parcelle de
moi ! Oh mon petit, que je t’aime. Et je te vois seul sur cette plage
déserte à regarder ces oiseaux virevoltant d’un mouvement large et ample, oiseaux
qui te disent en te susurrant à l’oreille : « Viens avec nous, il est
là, il est avec nous et tu le
rejoindras, il se souvient de toi et il t’aide maintenant à grandir, à devenir
un grand petit homme ! » Et les mouettes en folie tournaient,
retournaient comme pour mieux t’attirer dans la mer avec elles… Leurs
piaillements stridents étaient les mots que je te soufflais dans l’oreille. Elles chantaient aussi ces chansonnettes que
nous fredonnions ensemble sur les sentiers de ta campagne … Tu te souviens
petit ? Oui ? C’étaient des chansonnettes enfantines que tu avais
apprises à ton école et tu me reprenais quand je me trompais. Oh, nous n’étions
pas à l’unisson tous les deux, mais à force de marcher ensemble nous aurions pu
former un beau duo non, tu ne trouves pas ? Oui, nous aurions pu, si le
temps l’avait voulu et surtout si celui-ci l’avait accepté. Mais il n’en a pas
été ainsi. Il en a été décidé tout autrement et cela… ça fait partie de la vie,
celle que nous nous sommes choisi et qui par des hasards malheureux s’en vont dans
des directions toutes autres que celles que nous imaginions. Et là, tu n’y peux
rien… Tu fais comme moi et moi je fais comme toi… Je subis la dure loi de la
vie !
Tes yeux dans le flou, errants
sur le haut des vagues grises de la mer du Nord, tu penses à moi. Je le sais
que tu le sais. Je te vois, je m’approche fugitivement, timidement pour
commencer ; puis je m’enhardis et je te touche le bras, je frôle ta petite
main de petit homme et j’ai moi aussi tout comme toi, des larmes d’esprit… Oh !
Que je t’aime. Et je ne sais pas comment
te le dire. Je ne sais pas comment te faire comprendre ce que je ressens à cet
instant précis où ma pensée rejoint et se mêle à la tienne. Et tu te sens seul, mais je suis là tu sais,
je suis là. Dorénavant, et je l’ai décidé qu’à partir de maintenant je serais
toujours à tes côtés par la pensée, toujours présent sans que tu le saches ni
ne le vois.
Il y a quelques années déjà, nous
avions fait connaissance toi et moi, nous grandissions et vieillissions
ensemble, toi le bébé et moi le vieux « Papou » ! J’avais tout
d’abord saisi ton corps de petit comme un objet précieux que l’on n’ose
manipuler qu’avec de grandes précautions et d’infinies délicatesses. Cela me
rappelait les périodes si lointaines où je prenais mes enfants dans les bras,
elle ta maman et lui son frère, ton parrain ! Que c’était loin déjà. Et
puis, et puis, tu me montais sur le ventre, sur « mon bidon » comme
tu aimais à le dire. Tu te faisais les muscles des jambes comme pour me faire
les miens, mes anciens abdominaux. Tu te souviens ? Et puis tu me prenais
par les cheveux et les tirait et les tirait encore comme si… Comme si … Je
ne sais plus ! Et puis tu as commencé à parler, à dire « Maman, papa,
Papou, Mamou et d’autres petits mots de tendresse, car tu étais naturellement
tendre, bon, amour, gentillesse, sincère et tu me disais : « Je
t’aime très, très fort, mon Papou chéri. » Et je te répondais :
« Moi aussi mon cher petit. » C’était le bon temps. C’est si loin et
si proche à la fois. Et c’est ça, la vie. Et je pensais t’aider à grandir, toi
si fragile dans ce monde de fous violents et de brutes primaires. Je voulais et
j’en avais la ferme détermination, te
protéger contre toutes les bêtises humaines qui rodent autour de tous les
petits enfants qui sont purs, qui sont amour, bonté et sincérité et aussi innocence
et, et…
Et il en a été décidé autrement…
Tu te souviens petit ? Et
toi tu les regardes ces oiseaux fous qui rasent l’écume de leurs ailes
blanches. Te rapprochent-ils un peu de moi ? Sens-tu que je suis là, près
de toi à cet instant ? Et puis et puis…
Et puis le drame est arrivé,
sournois et imprévu. Nous nous sommes tous trouvés emportés dans la tourmente
familiale. La connerie quoi. Pardonnes-moi, mais ça m’a échappé. La connerie
quoi, j’insiste. Le gâchis de la vie, d’amour, de fraternité, de tendresse, de
baisers et de beaucoup d’argent aussi… Mais l’argent n’est pas l’important,
non. Ce sont les sentiments qui le sont : à toi comme à moi, car nous
sommes pareils tous les deux. Toi l’enfant et moi le grand-père, le Papou comme
tu disais et que tu aimais à répéter… « Papou… Je t’aime ! » Criais-tu
très fort à la cantonade à qui voulait bien t’entendre... Et c’est là que la
chute à commencée, une spirale sans fin, qui enveloppe et nous entraine dans
l’abime, tout au fond, là où l’âme sans courage ne remonterait pas. Et « Elle »,
ta maman, a commencé à avoir son cerveau qui s’embrumait par de mauvaises
pensées, par des effluves de chimie qui lui troublaient l’âme. Tu sais,
l’âme ? C’est ce qui est au tout au-dessus de ta tête, qui flotte en
vapeur, en vibration et que tu ne peux pas saisir… Tu sais, c’est ce qui te permet
de penser, qui n’est qu’à toi et rien qu’à toi… L’âme est ce que l’on ne peut
pas t’enlever car elle est ton TOI, ton être qui vis par et grâce à elle… C’est
cette impalpable chose, invisible, insaisissable qu’il est si difficile de
contrôler ; un effluve vaporeuse et transparente inaccessible au toucher… Et
puis « Elle » a commencé à crier, à dire des mots orduriers que tu
n’avais jamais entendus, dans tes d’oreilles de petit garçon. Et là tu as
commencé à avoir des peurs, des chagrins... Toi le petit, tu croyais
innocemment et naïvement que tout était beau, tout était sain, joie, amour
tendresse et nature bleue. Tu ne savais pas ce qu’était la peur avant ces
moments nouveaux pour toi. Des moments
si neufs et qui vieilliront avec toi, comme enfermés aujourd’hui dans tes gènes
de petit homme. Tu ne pourras jamais oublier ces durs instants. « Elle »
criait sur toi alors que tu n’avais rien fait. Elle criait aussi sur ta petite
sœur venue nouvellement au monde, elle si belle comme un cadeau du ciel promis aux
enfants sages. Ta petite sœur que tu avais caressée et qui pleurait toute
effrayée d’entendre votre chère maman crier si fort. Vous aviez peur tous les
deux enfermés dans les cris des grands, de ceux que l’on appelle les parents,
les adultes. Et puis encore et encore… Il y avait les odeurs de maman. Le gout
des baisers d’aujourd’hui n’avaient plus le goût des baisers d’hier. C’était
hier… C’était l’alcool… Oui, petit, c’était l’alcool. Et tu te souviens toi,
des bouteilles qui roulaient dans ta maison, même dans la chambre de ta petite
sœur, même sous les piles de linge où ta « chère petite maman »
les cachait. Ces moments là te resteront gravés en toi d’une encre indélébile,
nauséabonde et grave, comme tu dis, « GRAVE » !
Les faits se précisaient petit à
petit, s’accéléraient, se superposaient aux événements récents se couvrant
comme des strates, des schistes d’ardoises qui veulent faire comme s’ils
étaient des lits d’enfants à étage. Les bousculades, les cris, les déchets dans
ta maisons, les poubelles non vidées, les excréments de ta chienne, les
vaisselles sales qui s’empilaient et toi et ta sœur qui au milieu de cette
Bérézina ménagère hurlaient de peur… Oh mon petit… Oh mes petits chéris. Au
téléphone, je me souviens de ta phrase apeurée qui
disait : « Papou, Mamou, maman ne va pas bien. Qu’est-ce que je
fais, Mamou ?» Et nous là-bas, effarés, effondrés, fous d’inquiétude, de douleur
et d’impuissance par rapport à la distance qui nous séparaient, nous appelions
untel ou unetelle pour nous aider à vous aider vous les tout petits, les
fragiles. De là où nous étions, c'est-à-dire à plus de neuf- cents kilomètres
nos angoisses s’amplifiaient. Les affres d’inquiétude nous torturaient et nous
taraudaient le cœur comme une vrille fraierait son chemin au centre du bois. Nous
étions vous et nous le bois vrillé, perforés par cette fraise sournoise de la
maladie qui rongeait ta chère petite maman. Oh ! Qu’ils étaient durs ces
moments d’impuissances. Nous venions petit, nous venions tout de même le plus
vite que nous le pouvions. Si, le plus vite possible. Tu le sais toi que nous
nous dépêchions de vous rejoindre…Et puis, et puis…
Et puis nous l’avons emmenée dans
des maisons pour soigner des gens comme « Elle » et comme bien
d’autres qu’Elle, ceux qui sont atteint dans leur tête des maux que les petits
enfants ne peuvent pas comprendre. C’était une grande maison dont les portes
étaient toujours fermées. Ces portes étaient fermées pour les soigner eux ou
bien pour protéger ceux qui sont dehors ? Un petit enfant, tu sais mon chéri,
ne doit pas connaître si tôt les douleurs que causent ou subissent les grandes
personnes. Un petit enfant est là sur la terre pour grandir, pour aimer, vivre
une vie de petit enfant : comme tu le faisais avant en disant si
souvent « Je t’aime très très fort mon Papou chéri »… Et je
rajoutais bêtement : « Papou chéri de tes doigts de pieds ». Ce
qui n’avait aucun rapport mais cela avait le bonheur, le mérite et le plaisir de
nous faire rire tous deux aux éclats. Tu te souviens petit ? Moi je m’en
souviens, et je suis près de toi en ce moment, à vouloir m’incruster dans tes
pensées secrètes, à m’y immiscer comme un furtif esprit qui veut communiquer de
l’au-delà avec l’être humain. Et puis, et puis…
Nous allions ensemble voir ta
maman, là où « Elle » se trouvait, dans cet hôpital où les malades
sont comme les docteurs et les docteurs comme les malades… C'est-à-dire, malades…
On ne les différenciait les uns des autres que par les habits blancs qu’ils
portaient. Tu sais ces messieurs avec les blouses blanches avec des crayons
dans leurs pochettes sur la poitrine et des boites de médicaments à la
main ? Tu te souviens, dis ? Et
tu l’a découvrais là au fond de la pièce commune, prostrée, plongée dans des
pensées secrètes qui n’étaient qu’à elle, des pensées que peux avoir une maman
malade dans sa tête ! Et tu t’approchais d’elle timidement comme si tu
avais peur de voir ressurgir les difficiles moments que tu avais vécus auparavant
dans ta maison, en compagnie de ta si petite sœur. « Comment ça va, maman ?
Tu as toujours mal à la tête ? », Demandais-tu timidement en la regardant et guettant la
réponse qui avait du mal à venir. Qu’elle était longue à sortir de sa bouche
cette réponse. Et puis tu tentais un câlin un tout petit câlin… Oh, je m’en
souviens et toi aussi tu t’en souviens. Hein, que tu t’en souviens ? C’est
bien là mon drame, c’est bien ici ma douleur. Que tu te souviennes des bons
moments, je le veux bien, oui. Mais ceux-ci sont des traumatismes que l’on
n’efface pas en un clin d’œil ni un claquement de doigts de la mémoire d’un tout
petit garçon. Oh non…Et puis, la visite
terminée, les baisers furtifs donnés, on repartait en lui disant doucement qu’on
allait revenir très bientôt. Comme pour
la rassurer ou bien nous rassurer nous…
Et nous les vieux, les grands
parents, les Mamou et Papou, nous qui sommes si loin de vous, on vous avait
préservés des malheurs en instance, vous protégeant d’abord avec nos bras puis
avec nos actes. C’était si difficile de prendre des décisions. On avait demandé
l’intervention d’une assistante sociale et l’on vous avait mis dans les mains de
votre père. Oh, qu’ils furent épiques et lourds à vivre ces moments là. Qu’il
était douloureux de vous quitter, de vous laisser par obligation de la loi, avec
lui. Nous avions fait parler notre cœur de grands-parents qui se devaient de sacrifier
notre fille, ta maman, pour sauver leurs chers petits-enfants. Oui, ce fut très,
très dur… Et il y eut le divorce !!!
Plus de maman le soir venant te
border et t’embrasser. Rien que ton papa et son amie, celle qui se voulait te
conquérir pour prendre la place de ta petite mère. Je passe sur tous les détails
de haine que s’inventent et se fabriquent, imaginent et se créent dans ces
moments-ci par des gens qui s’aimaient tant auparavant. Et tout ça, pour
détruire encore plus vite ce qu’ils avaient vécus par l’amour. Et là mon cher petit
garçon, je voudrais te demander une petite faveur, de faire un gros effort pour
me faire un grand plaisir. Tu me promets ? Essaies d’oublier les mots
sales, destructeurs, orduriers, vils, gras, bas, haineux et destructeurs que
peuvent se dire des gens qui s’aimaient autrefois et qui se détestent maintenant
: je veux parler de ta maman et de ton papa, tes parents. Ces mots te
reviennent parfois, mais tu ne dois pas les dire car ce n’est pas bien d’imiter
les grands qui ne s’aiment plus.
Ne pleure plus mon petit. Je suis
esprit maintenant. J’ai découvert que j’étais mort, que je ne faisais plus
partie de ton univers, de cette terre, de ta vie. Je ne suis plus vivant ici
mais en ailleurs. Je sais que je suis encore dans ton cœur. Je suis esprit
dorénavant et je veux faire maintenant de ma mort ce que je voulais faire de ma
vie : te guider en t’aimant, te conduire encore un bout de temps,
t’apporter mes souvenirs et les enrichir en te donnant des mots, des images,
des créations, de l’imagination, de la bonté, de la beauté. Bref t’aider à
grandir… D’accord grand petit homme ? Maintenant que je ne suis plus
vivant, je serai TOUJOURS avec toi, TOUJOURS en toi…. Comme nous nous l’étions
promis avant…
Courage petit, la vie t’attend,
mais ton Papou est là maintenant, auprès de toi…
A tout à l’heure si tu le veux….
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